Réunion Surréaliste à New York en 1940
'Hayter e l'Atelier 17', Carla Esposito, Electa, Milano, p.17

STANLEY WILLIAM HAYTER ET LES SURREALISTES
par David Gascoyne

Au cours de ma première visite à Paris en automne 1933, lorsque je venais à peine d'avoir 17 ans, ce fut une chance pour moi d'être présenté à Bill Hayter. Notre première rencontre eut lieu lors d' une soirée à laquelle m'avait amené Georges Reavey, poète et traducteur membre de cette fameuse génération de Cambridge qui comptait William Empson, Humphrey Jennings et Kathleen Raine ainsi que leur ami Julian Trevelyan, qui à cette époque travaillait à Paris et étudiait avec Hayter à l'Atelier 17 ainsi nommé d'après le numéro du studio de la rue Campagne Première où il avait été fondé en 1927. La soirée eut lieu au 11 rue Daguerre, près de la Place Denfert-Rochereau, à une courte distance à pied de l'atelier de Hayter.
Pendant mon premier séjour à Paris, le seul représentant du mouvement Surréaliste que je réussis réellement à rencontrer fut Max Ernst dont je visitais l'atelier rue des Plantes pour en sortir avec une gouache Oiseau en Forêt achetée pour quelques centaines de francs. Je me rendis aussi à la Librairie Surréaliste de José Corti, rue de Clichy, et retournais plus tard en Angleterre avec non seulement La femme 100 têtes de Max Ernst mais aussi avec plusieurs recueils de poésies, en particulier de Breton et d'Eluard que je commençais aussitôt à essayer de traduire. Avant de quitter Paris, Julian Trevelyan m'emmena à ce salon annuel des Surindépendants à la Porte de Versailles, où l'on voyait les oeuvres de la plupart des assistants et des étudiants de Bill ainsi que de nombreux surréalistes marginaux.

Quelque temps plus tard j'étais entrain d'écrire un livre sur le mouvement Surréaliste qui bien qu' établi en France dès 1924, demeurait en fait inconnu dans ce pays. En arrivant à Paris au mois de juin 1935, pour entreprendre une recherche et récolter de la matière pour ce qui devint plus tard A Short Survey of Surrealism, j'appelai d'abord Paul Eluard à son appartement de la rue Legendre, puisque j'étais déjà entré en contact avec lui pour la publication dans des revues, des traductions de certains de ses poèmes. Il me lut à voix haute des poèmes de pré-surréalistes français dont je n'avais pas alors entendu parler, et me donna des exemplaires de ses très rares brochures de la période Dada intitulées Proverbe. Je suis entré en contact aussi avec Breton, l'informant de mon intention d'écrire The Survey. Toutefois ce que j'avais lu et entendu à son sujet m'intimida à l'idée de le rencontrer réellement, comme je le confiais à Bill Hayter peu de temps après m'être installé à l'Hotel de l'Odéon. Avec une gentillesse digne de lui, S.W.H. me proposa de prendre un rendez-vous et m'accompagna chez le chef des Surréalistes, plus haut dans la rue Fontaine, juste au coin de la Place Blanche, au pied de la Butte Montmartre. Un beau matin d'été alors que nous entrions dans la cour du n°42, le chien de la concierge, commença à aboyer furieusement. Ma nervosité augmenta avec cette cacophonie et je jetai un coup d'oeil au petit balcon de fer du dernier étage en surplomb au-dessus de l'entrée de l'escalier qui conduisait à l'appartement de Breton. Inévitablement le Maître se trouvait là, scrutant d'un air grave notre arrivée annoncée par un chien en colère bien qu'il nous attendait à ce moment là. La politesse exquise coutumière de Breton me mit aussitôt comparativement à l'aise et l'entretien se déroula de manière assez satisfaisante. On m'interrogea sur la probité et la correction de mes intentions et compte tenu de l' agrément provisoire de Breton, j'étais convié à 18 heures, à suivre les réunions quotidiennes du groupe au Café de la Place Blanche toutes les fois que j'en éprouverais le besoin.
A cette époque j'était tout sauf bien équipé pour évaluer la vraie nature de la relation entre Hayter et Breton. En 1935, c'était visiblement celle d'une estime réciproque, mais la chaleur de l'amitié de Hayter à l'égard de Paul Eluard, qui devait plus tard aboutir aux séries de gravures inspirées par le poème d'Eluard Proie Facile (1938), n'était pas évidente en ce qui concerne Breton. Si quelques oeuvres de Hayter faisaient partie de l'immense éclectisme de la collection privée de Breton, ce n'était jamais affiché et il n'est fait aucune mention du nom de Hayter dans les 510 pages du catalogue de l'exposition au Centre Georges Pompidou en 1991. Pendant longtemps, j' ignorais tout du refroidissement grandissant dans la relation entre Breton et Eluard; leur collaboration triomphante dans les textes de L'Immaculée Conception datait de cinq ans seulement, pourtant leur alliance se détériorait déjà sérieusement. Eluard vivait à une courte distance à pied de la Place Blanche, mais je ne l'ai vu qu'à une reprise faire une apparition aux réunions que présidait Breton chaque soir au café, et ce fut le jour de la nouvelle du suicide de René Crevelle qui bouleversa le groupe entier. A ma connaissance, Hayter n'avait pas l'habitude de fréquenter les réunions quotidiennes de Montmartre.

A la suite du remaniement des alliances Surréalistes suivant la publication du Second Manifeste du Surréalisme de Breton en 1930, André Masson et son ami intime Georges Bataille, - (ainsi que Delteil, Limbour, Artaud et Vitrac) - ont été sévèrement exclus du mouvement et de ses activités. Je n'ai pas manqué d'observer que l'affinité qui rapprochait le plus les oeuvres de Hayter et des Surréalistes du début, représentait celle qui se discernait entre Hayter et André Masson. Comme chez Hayter, le trait marquant de Masson, c'était la formidable vitalité dynamique de la calligraphie de sa ligne, évidente dans les dessins automatiques reproduits dans les premiers numéros de La Révolution Surréaliste et d'une manière typique dans les dernières séries de Massacre que l'on trouve dans le Minotaure. On a pu dire qu'il eut toute sa vie cette obsession de ce que Yeats entend par "le mystère incontrôlable du palier bestial"; et une obsession similaire n'est pas absente des oeuvres de Hayter à des périodes différentes, exception faite peut-être pour celles de ses dernières années. D'après le peintre et le critique surréaliste Edouard Jaguer, "le superbe Paysage Anthropophage de 1937 de Hayter reste une des plus puissante toile de la période surréaliste d'avant-guerre"; cependant il considérait que l'abstraction tardive de Hayter avait perdu quelque chose de son caractère organique original en se confinant dans une géométrie moins agressive.

On peut bien classer les oeuvres les plus significatives de la maturité de Hayter comme la conséquence de son identification aux visées de l'association des peintres connue brièvement sous le nom d'Abstraction-Création (Paris 1931-1936). Cette constellation internationale partageait un centre d'intérêt axé sur le domaine où des formes représentatives sublimement suggestives fusionnent avec des formes confuses créées par le hasard et déterminées par un rythme gestuel: Masson et Miro sont les représentants les plus connus de cette tendance; Wolfgang Paalen et Ashile Gorky y sont tous deux affiliés de même que Kurt Seligmann et Gérard Vulliamy, chacun à sa manière, tous deux d'origine suisse comme Klee. A un moment donné, la plupart d'entre eux, ont fréquenté et subit l'influence de l'Atelier 17. La fameuse méthode de Klee "aller se promener avec une ligne" devint simplement avec Hayter et les autres artistes "aller, explorer et chasser" avec des moyens linéaires et des éclaboussures. Toute cette facette de l'Art du XXème siècle se lie étroitement à ce que Fanchon Fröhlich signifie par décalcomanie.

Dans son propos sur les théories et les expérimentations de Hayter, F.F. fait allusion à son amour particulier pour la musique et les analogies qu'il dessine avec le contrepoint et la mélodie en travaillant avec ses étudiants. Ce qui semble beaucoup aider à expliquer le manque relatif d'enthousiasme de Breton pour l'apport de Hayter au surréalisme international, c'est qu'il n'avait pas un soupçon d' oreille pour la musique, et exhortait ses partisans à "laisser l'orchestre sombrer dans les marécages de l'Occident."
Au moment où Roland Penrose, Herbert Read, E.L.T. Mesens et moi-même étions entrain de travailler avec un comité pour organiser ce qui devint la première exposition internationale du Surréalisme aux New Burlington Galleries à Londres pendant l'été 1936, Bill Hayter devint, en aidant aux préparatifs, un officier de liaison des plus précieux entre Londres et Paris. Deux peintures et une douzaine de gravures de Hayter se trouvaient parmi les nombreuses centaines d'oeuvres que l'on pouvaient voir à ce moment là, pour ce dernier événement sensationnel (pour la capitale anglaise).
Il semble que ce soit opportun de mentionner un texte de Michel Rémy sur Hayter, dont la connaissance de toute l'histoire du Surréalisme Anglais reste sans égal parmi ses compatriotes:
"Bien que Hayter se soit installé à Paris en 1929 et ne vécut en Angleterre que durant les années de guerre, le rôle qu'il joua dans la transmission du Surréalisme en Angleterre est énorme; Son atelier 17, à Paris, était le point de ralliement et de rencontre pour tous les artistes anglais venant d'Angleterre de même que pour la plupart des artistes français surréalistes. Il est indubitablement le peintre de l'automatisme tel qu'on le développe à travers les techniques de la gravure. Pour lui, la ligne est une pure création de la main dictée par la pensée, la plaque de gravure devenant ainsi la scène où se produit de manière dramatique, un phénomène physique, chimique et psychologique; il recrée le mouvement pur qui précipite l'esprit et la réalité l'un contre l'autre à l'instant même de la perception. 'Toute notre perception nous atteint en termes de rythme; la douce révolution des saisons,le battement du coeur, les micro-courants dans le vent, les vibrations des ondes du son et de la lumière,' déclara-t-il une fois, inventant ainsi un langage alchimique le long des lignes de vie du subconscient." 13
Pendant que je publiais un de mes poèmes intitulé Variations on a Phrase inspiré par Rimbaud, j'étais enchanté de découvrir que peu de persuasion fut nécessaire pour convaincre Bill Hayter de faire une lithographie sur ce sujet. Il s'agit d'une image vigoureuse et complexe de Hephaïstos et de son filet, faite avec une seule ligne bleue sur un fond jaune; imprimé sur une feuille de 22 par 14 pouces le long du texte, elle parut dans une édition limitée de 400 exemplaires, l'année suivante. Comme Masson et Bataille, l'imagination de Hayter collait exceptionnellement bien aux figures mythologiques de toute sorte; comme il me le dit plus tard, c'était une chance pour moi qu'Hephaïstos l'interpelle en particulier.
Le 5 mai 1988, Augy, le fils de Hayter me téléphona de Paris pour m'annoncer la mort de Hayter survenue la veille.
J'écrivais ceci pour sa nécrologie dans The Independent:
"Tous ceux à qui il transmit un champ énormément varié des techniques de l'estampe et de la gravure, primèrent pour longtemps le fait de considérer Bill Hayter comme un ami loyal, tant était exceptionnelle la chaleur de sa personnalité, son humour, sa tolérance et sa décontraction, contrebalançant les critiques dictées par son professionnalisme."
Puis énumérant ensuite Ernst, Miro et Tanguy comme les plus connus de ses premiers étudiants,
Il était plus proche d'André Masson par la virtuosité gestuelle de sa ligne alternativement fluide et crantée, expression du dynamisme impétueux qui animait son oeuvre comme maître, inventeur et artiste.

La dernière fois que je me trouvais à Paris, quand je lui rendis visite comme d'habitude rue Cassini, Bill Hayter venait de revenir d'un match de tennis, qu'il continuait à pratiquer régulièrement, bien qu'il eut dépassé les 80 ans à cette époque. On m'a dit que la nuit précédant sa mort, il sortit pour dîner avec des amis, sans aucun doute le plus affectueux et le plus exubérant des invités. Il était difficile de penser à lui comme à un vieux maître, mais pendant ces cinquante dernières années, il a été indubitablement le maître de la gravure du XXème siècle."

David Gascoyne, 24.VI.92

 

13  Extrait du catalogue de l' Exposition: Peinture Surréaliste en Angleterre 1930-1960, Galerie 1900/2000, Paris 1984.

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